Table des matières

Les éditions utilisées sont les suivantes:




Notation: Les références en gris (e.g [Tp56]) correspondent aux œuvres au programme: [T] pour Tocqueville, [R] pour Roth, [AC] pour Les Cavaliers d’Aristophane, et [AF] pour L’assemblée des femmes d’Aristophane. Ces lettres sont souvent suivies d’un indicateur pour se positionner dans l’œuvre (e.g. [p67] pour la page 67 de l’édition étudiée).




Tous les textes hors du programme ou les extraits étudiés plus en détails sont en annexe.

Introduction générale

A  Le caoutchouc et l’asymptote, (ex)tensions de la démocratie.

1  Une clarté aveuglante


Figure ?.1: Kim Jong Un, dirigant de la République Démocratique de Corée.

Auguste Blanqui dit que la démocratie est un « mot en caoutchouc ». Myriam Revault D’allonnes dit que la démocratie a un « signifiant flottant ». On ne se questionne plus sur sa définition. Elle fait consensus et, par conséquent, on en oublie sa nature même. Pour Fukuyama, après-guerre, la démocratie a triomphé et l’occident arrive à la fin de l’histoire (la démocratie est le régime final, aucun régime ne peut s’y opposer).

Comment peut-on alors définir la démocratie? Licoln la définit ainsi: « La démocratie, c’est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Cette phrase est prononcée lors du discours de Gettysburg. Dans [Rp101], il est fait mention de ce discours, dans le momument emblématique de la démocratie américaine (mémorial de Lincoln). La définition de Lincoln est reprise dans la constitution française de la cinquième république.

2  La démocratie comme autonomie

Dans sa définition, Licoln dit que le peuple est à la fois la source du pouvoir (du), l’agent du pouvoir (par), et la finalité (pour). Selon cette définition, il est donc nécessaire pour une démocratie de réunir ces trois points pour être légitime. C’est ce triple statut du peuple qui donne sa légitimité à la démocratie. Cette définition est en adéquation avec l’éthymologie du mot: demos, le peuple, et kratos, le pouvoir, l’autorité.

Remarque: En grec, la racine qui désigne le pouvoir est arkhe, dans les mots comme monarchie, anarchie. Ce mot possède deux sens: le commencement, et le commandement. La légitimité du pouvoir est fondée sur l’ancienneté, le plus ancien a plus de pouvoir. La racine kratos est différente en ce point.

La démocratie, on le voit dans le Texte 1, a deux facettes. En démocratie, le peuple fixe sa propre loi: il est autonome (auto, soi-même, nomos, loi). Cela s’oppose à l’hétéronomie d’autres régimes. Dans l’hétéronomie, le débat est impossible, le système est vertical (par exemple lois qui viennent « de Dieu »). Dans l’autonomie de la démocratie, le débat est présent et le système est horizontal. La vérité absolue existe dans l’hétéronomie, pas dans la démocratie (autonomie), puisque dans cette dernière, le débat et l’argumentation sont présents. La vérité peut alors être corrigée. La loi et la politique sont alors des affaires humaines, ça n’est pas la copie d’un ordre imposé de l’extérieur (la nature chez les grecs par exemple). Il n’y a pas par nature, par exemple, de gens qui doivent être esclaves.

Tocqueville, dans le Texte 2, nous montre que la démocratie est le régime du peuple souverain. Tocqueville craint précisément que dans la démocratie, l’état tout-puissant (pouvoir centralisé) maintienne le peuple dans un état d’enfance (hétéronomie, il n’a plus à se soucier de la politique).

Cette vision de la démocratie comme autonomie fut théorisée par Cornelius Castorialis.

3  Les tensions de la définition de Licoln

(a)  Du peuple

La démocratie est le pouvoir du peuple. Mais quel peuple? Qui est le peuple? On peut attribuer plusieurs sens au mot.

On peut voir le peuple comme classes populaires (sens social). Souvent opposé à l’élite: c’est le populisme. Par exemple, [ACp64], le charcutier est issu du peuple en ce sens (« des gueux, pas autre chose! »)

On peut également le voir comme une foule, une masse. C’est alors une agrégation d’individu sans unité. C’est le peuple des émeutes, des révolutions (dans l’histoire française, c’est le peuple qui va à l’assault de la Bastille). C’est un peuple caractérisé par son impulsivité et irationnalité; guidé par ses passions. Il est manipulable par n’importe quel démagogue. Exemple dans [Tp109]: « révolution violente », « tempête », « masse confuse ». Pareil pour [Rp32]: « une vague1 d’enthousiasme rédempteur regaillardit les républicains », « investit par acclamation le candidat nationaliste ».


Figure ?.2: Le Serment du Jeu de Paume, Jacques-Louis David

Enfin, on peut le voir comme corps politique. Il fait unité, c’est une association d’individus. Dans Le Serment du Jeu de Paume, Jacques-Louis David, on voit un peuple se former comme corps politique (création d’une constitution française). La naissance du peuple politique passe par la mise en place d’une constitution, un contrat social. La constitution américaine commence par « We The People », qui établit déjà ce qu’est le peuple (passage de la multiplicité, We, à l’unité, The People). Pour Platon, l’art de gouverner, c’est l’art de tisser: la cité est composée de multiples fils, et savoir gouverner c’est savoir les lier, les entrelacer. C’est savoir gérer la multiplicité, la pluralité des composantes de la cité.

(b)  Par le peuple

Il existe deux systèmes: la démocratie directe et le système représentatif. La démocratie directe est la démocratie athénienne: il y a une assemblée de citoyens, et chaque citoyen participe effectivement. Elle nécessite des citoyens particulièrement actifs (nécessité de s’informer, réfléchir, débattre, voter). Le système représentatif apparait plus avantageux à grande échelle (moins de gens impliqués), et nécessite moins d’implication de la part du citoyen: le travail est séparé, entre ceux qui légifèrent et les autres, qui peuvent se consacrer à des affaires privées. En france, le système représentatif entre en vigueur au XVIII-ème siècle, après la révolution. Lorsqu’il est mis en place, le système représentatif est perçu comme une alternative à la démocratie (i.e. il n’est pas démocratique). On le voit dans le Texte 5, discours prononcé à la fin de la révolution. L’élection se fait par l’élection des gens aptes à légiférer: les meilleurs. Il s’agit alors d’aristocratie. Les représentants ne risquent-ils pas de confisquer la souveraineté du peuple ? Une autre dérive s’esquisse: la démission, la déresponsabilisation des citoyens; ce qui laisse alors la politique entièrement à « ceux qui savent », une apathie citoyenne. Tocqueville le dit <<dans ce système, ... 2>>. Rousseau par exemple expose l’argument selon lequel un peuple représenté n’est pas libre. Jacques Rancière écrit dans La Haine de la Démocratie: la représentation est « est, de plein droit, une forme oligarchique, une représentation des minorités qui ont titre à s’occuper des affaires communes. La représentation est, dans son origine, l’exact opposé de la démocratie. ». Une bonne représentation nécessite une ressemblance entre les représentants et les représentés (il s’agit d’ailleurs d’une critique souvent effectuée à notre démocratie actuelle: 0% d’ouvriers à l’Assemblée nationale, vs proportion dans le peuple français). On retrouve cette quesiton de ressemblance dans [Rp123]: Hermann parle du premier juif à rejoindre la Cour Suprème (Louis D. Brandeis). [Rp123]: première femme a avoir été représentée sur un timbre national.

(c)  Pour le peuple

Les questions de l’intérêt général et du bien commun se posent. Théoriquement, le peuple démocratique prend des décisions en vue de l’intérêt général, du bien commun, et non pas en vue de son intérêt particulier. Rousseau insiste lourdement sur ce point, dans la démocratie qu’il théorise, chaque citoyen fait abstraction de ses besoin particuliers, de ses volontés particulières, pour le bien commun. Ce principe, Montesquieu l’appelle la vertu. En politique, la vertu, c’est comprendre que mon intérêt particulier ne s’oppose pas à l’intérêt général, mais il dépend de l’intérêt général. Selon H. Arendt, la démocratie repose sur un « monde commun »: c’est la chose publique (res publica). Or, ce monde commun est menacé par deux risques.

Le premier, c’est le risque de la division et de l’atomisation du corps social, c’est-à-dire que chaque individu est replié sur sa sphère privée, sur sa sphère individuelle. C’est l’individualisme. C’est précisement ce qui se passe dans [ACp110], qui est reproché au Paphlagonien par le Charcutier: « Toi, tu n’as cherché qu’à réduire Athènes à la condition de petite ville, en établissant des cloisons entre les habitants. ». L’œuvre de Tocqueville [T] est hantée par le spectre de l’individualisme.

Le second, c’est l’uniformisation. Monde commun n’est pas synonime de monde uniforme. Ce qui détruit le monde commun, c’est l’uniformisation des modes de vie, qui étouffe les singularités individuelles, l’originalité. S’il n’y a plus de singularité, il n’y a plus rien à partager. Il n’y a pas de monde commun sans pluralité, il faut du partage pour qu’il y ait communauté. Dans [AFp213], Praxagora veut « Le même genre de vie pour tous. ». Elle dit: « Je prétends faire de notre ville une seule habitation, en renversant toutes les séparations jusqu’à la dernière, de façon qu’on puisse se rendre les uns chez les autres ». La démocratie disparait, puisqu’il n’y a pas de singularité. C’est l’exact opposé du reproche de l’individualisme dans [AC].

Il y a donc des tensions entre individus et collectivité: interêt général et particulier, liberté individuelle et appartenance à une communauté.

Conclusion

La démocratie est traversée par de multiples fonctions, ce qui a plusieurs conséquences. D’abord, la démocratie a une fonction d’idéal régulateur (l’expression est due à Kant, c’est la boussole qui nous guide), c’est l’asymptote (on y tend, mais on ne l’atteind jamais). Il y a des écarts entre l’idéal régulateur et la réalité, la démocratie apparait comme une promesse non tenue.

Ensuite, la démocratie est toujours liée à une forme d’incertitude, d’indétermination. Premièrement, parce que sa nature, sa définition est incertaine. Deuxièmement, parce que l’on est jamais tout à fait sûr du bien fondé de ce qui est mis en place; la démocratie entraine la délibération permanente, source de l’incertitude. La démocratie est aussi le régime de l’incertitude pour cette raison. Elle est donc source d’angoisse et source de peur. Dans le Texte 4, Tocqueville place la démocratie sous le signe de la peur, il en parle sous l’impulsion de la « terreur ». Cet aspect est retrouvé dans [Rp11]: « C’est la peur qui préside à ces mémoires, une peur perpétuelle. ». On n’est jamais sûr de rien en démocratie, et surtout, on n’est jamais sûr que la démocratie ne va pas finir en tyrannie.

B  L’invention de la démocratie: Athènes (V-IV av JC)

1  Institutions de la démocratie athénienne

La démocratie s’oppose à plusieurs régimes: Tyrannie, Aristocratie, Oligarchie.

(a)  La citoyenneté

Est citoyen tout individu: de sexe masculin, de père athénien (puis, après Périclès, aussi de mère athénienne), majeur, soit 20 ans et plus, après avoir suivi une formation civique et militaire (éphébie). Ne sont donc pas citoyens: Les femmes, les enfants, les métèques (qui bénéficient de certains droits, étrangers), et les esclaves (aucun droit, considérés comme des biens)

Il y a 4 classes de citoyens: les plus riches (cavaliers dans l’armée), les cavaliers (classe moyenne supérieure, peuvent se payer un cheval), ceux qui possédaient un attelage de bœufs (hoplites), et les thètes (paysans salariés, rameurs).

(b)  Les institutions


Figure ?.3: Les institutions athéniennes (boulé, ecclésia, héliée)

L’assemblée de réunit sur la Pnyx. Pour participer à la boulé, l’ecclésia ou l’héliée, il est mis en place le misthos: une indemnité versée au citoyen pour le dédommager des journées de travail perdues. Originellement d’une obole, portée à 3 oboles par Cléon. L’agora est le lieu central d’échange à Athènes. C’est sur l’agora qu’on placarde la loi: nul n’est censé ignorer la loi. (eventuellement schéma athènes).

Ces institutions apparaissent chez Aristophane. Pour l’assemblée: [ACp51] (démos originaire de la Pnyx) et [ACp102]. Dans [AFp177], Praxagora a habité sur la Pnyx. Mention du mysthos [AFp180] (triobole). Le conseil (Boulè): [ACp89] et [ACp96], duel des deux rivaux devant le conseil. L’agora apparait dans [ACp147]: le charcutier révèle son nom (Agoracritos), il a grandi sur l’agora. Il a été formé à la dispute, au combat et au débat sur l’agora. Mention [AFp215] tous les biens doivent être rassemblés sur l’agora.

Aristophane dénonce le recours abusif au procès, la judiciarisation de la société, les sycophantes2. Exemple [AFp191] et [AFp211]

2  Isonomie et Iségorie: Égalité

Le principe d’isonomie, instauré par Clisthène, est celui de l’égalité devant la loi de tous les citoyens: même droits, même devoirs, même participation à la politique. L’iségorie correspond à l’égalité de parole: tout le monde a le droit, dans la démocratie Athénienne, au même temps de parole. Le temps de parole est décompté, mesuré, et doit être égal pour tous. Ce principe est fondamental en démocratie: en démocratie, ceux qui n’ont pas accès à la parole sont exclus3. Dans [ACp77], le paphlagonien gueule, il occupe la parole et prive les autres de la parole: « Et toi, que bois-tu donc pour que ta langue à elle seule ait pu réduire la ville à son état de mutisme actuel? ». C’est un tyran, parce que sous son règne, la ville est privée de parole.

Dans la démocratie Athénienne, l’égalité est assurée par tirage au sort. On postule alors obligatoirement l’égalité des intelligences et capacités entre les citoyens, une égale aptitude à la politique. Il n’y avait pas la possibilité de cummuler des mandats, de faire des carrières politiques (le tirage au sort permet une rotation des charges), si bien que dans la démocratie Athénienne, chacun est « tantot gouvernant, tantot gouverné » (C’est ainsi que Aristote définit la citoyenneté). Ostracisme: les gouvernants qui sortent du lot et sont susceptibles d’instaurer une tyrannie, sont expulsés (au moins temporairement).

3  L’agôn et la délibération

L’agôn correspond à la lutte, le combat, la compétition. La démocratie est fondée sur l’agôn, sur un principe agonistique (c’est-à-dire le conflit). Il n’y a pas de démocratie sans débat, et donc sans combat4. La délibération est basée sur le logos (parole rationnelle, argumentée).

Habermas (vingtième siècle, contemporain) fonde sa théorie de la démocratie sur le concept de démocratie délibérative. Pour lui, la démocratie est une discussion, une délibération permanente.

4  Voter et Juger

Le citoyen athénien se définit par deux actes primordiaux: voter et juger. La société athénienne est fondée sur un contrôle permanent des magistrats: il y a un contrôle préalable au tirage au sort, pendant, puis ensuite (on vérifie qu’il n’y a pas eu de vol, ...). La démocratie repose donc sur la confiance, mais aussi sur la défiance.

5  Méfiance à l’égard de la démocratie

Dans le Texte 8, Platon prétend que la démocratie risque l’excès de liberté, et l’excès d’égalité. Selon lui, la démocratie est le régime de l’hybris, la démesure. L’excès de liberté conduit à une forme de tyrannie du désir (« désire insatiable de liberté »). On cherche une liberté sans limite, sans freins, ce qui conduit à l’anarchie. L’excès d’égalité détruit toutes les hiérarchies, or pour Platon, dans la cité, il faut respecter des hiérarchies strictes. L’égalité des conditions est donc une menace pour lui. Ces deux excès conduisent à une nouvelle forme de servitude, de tyrannie.

Aristote, élève de Platon, distingue trois régimes: la monarchie, l’aristocratie, et le gouvernement constitutionnel. Ces trois régimes diffèrent en fonction du nombre de ceux qui gouvernent. Il ajoute cependant que ces trois régimes peuvent subir des dégradations, et la démocratie est la dégradation du gouvernent constitutionnel.


RégimeDégradation
MonarchieTyrannie
AristocratieOligarchie
Gvt. ConstitutionnelDémocratie

C  La démocratie libérale (18 – 19ème)

L’égalité est instaurée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et les lumières.

1  Liberté des Anciens5 vs. Liberté des Modernes

Benjamin Constant, dans le Texte 9, montre que chez les Anciens, il n’y a quasiment aucune liberté privée, il n’y a de liberté que dans les affaires publiques. Les droits ne sont là que pour la vie publique. L’individu privé est alors soumis à la collectivité, et il sacrifie sa vie pour elle.

La liberté des Modernes est inverse, selon constant. Ils ont peu de liberté politique (puisque le système est représentatif), le citoyen moderne exerce peu de pouvoir. En revanche, l’individu moderne est tout entier occupé par ses affaires privées. Tous l’enjeu de la démocratie libérale est de protéger les affaires individuelles des abus de l’État. Le principe d’individualité apparait au 18eme siècle (auparavant, on ne se définit pas comme individu mais par sa famille). La liberté individuelle est protégée de l’État (par exemple, la sexualité ne doit pas être régie par l’État)6. Le but est donc de mettre des barrières à l’ingérence de l’État dans la vie privée, protéger l’individu de l’État.

2  Diviser le pouvoir

Une première manière de diviser le pouvoir est la séparation des pouvoirs (Montesquieu, De L’Esprit des Lois) exécutif, legislatif, judiciaire.

Une deuxième est le droit à l’insurection (Locke). Hobbes (prédatant Locke) nous dit que dans l’état de nature, « L’homme est un loup pour l’homme » (loi du plus fort). Les hommes passent alors un contrat social7, et créent la société. Les hommes échangent leur libertés naturelles contre la sécurité. Une fois que l’État (Le Léviathan) garantit la sécurité, les hommes sont privés de libertés, soumis. Locke remet en cause cette vision du contrat social: le droit à l’insurection garantit un maintien des libertés individuelles fondamentales.

Enfin, le pluralisme et les corps intermédiaires permettent de diviser le pouvoir. Pour éviter que l’individu ne soit écrasé par l’État, il faut éviter que l’individu se retrouve seul face à l’État. Il faut (selon la philosophie libérale) des corps intermédiaires, qui servent de « tampon », et sont chargés de défentre les droits des particuliers. Les corps intermédiaires (ou secondaires) peuvent être par exemple: des associations, des syndicats, des partis, la presse. Ces corps ont pour fonction de représenter la diversité des opinions, des intérêts de la population, ils peuvent aussi défendre des groupes minoritaires: c’est le pluralisme.

3  Protéger l’individu contre la tyrannie de l’opinion, de la majorité

D’après Tocqueville (Texte 10), dans la société aristocratique, il y a des autorités morales, des individus ou des groupes qui font autorité, qui font référence. Ce sont eux qui prescrivent ce qu’il faut penser (par exemple, l’Église, la mode dictée par la noblesse). Avec la démocratie, ces groupes disparaissent (et s’exilent même): la société perd ses repères, ses références, ses autorités morales. Comment l’opinion se forge-t-il puisqu’il n’y a plus d’autorité morale ? Dans un système d’égalité avec peu de corps intermédiaires, l’opinion se conforme à la majorité. Il y a alors mise en place d’un conformise intellectuel et moral, il devient très difficile d’exprimer une opinion minoritaire. Les opinions extravagants sont excluants (dans le débat, dans la société).

L’enjeu pour la démocratie consiste alors à donner une place à des voix minoritaires, permettre l’originalité de la pensée et de l’expression.

La démocratie ne se résume pas à un régime mais se retrouve dans toute la société, dans les comportements, les modes, les idées, les relations. Il y a une égalisation des conditions.

Conclusion générale

Dans la démocratie libérale, on distingue trois niveaux: l’état, la société, l’individu, et l’enjeu est de faire en sorte que chaque niveau n’empiète pas sur les autres: la société ne doit pas contraindre l’individu (tyrannie de l’opinion), l’état ne doit pas contraindre la société, ni l’individu.


1
Ce vocabulaire renvoie au déchaînement des éléments naturels
2
Délateurs, ceux qui gagnent leur vie en dénonçant au tribunal, pour toucher une partie de l’ammende
3
Un exemple récent: le Conseil Supérieur a prononcé un avis défavorable aux livres du programme initialement, puisqu’il ne contenait pas d’autrice. Les livres ont finalement été conservés.
4
« On pense toujours à Kim Jong Un, notre parrain cette année. », Cyril Barde, 2019
5
Les grecs, les athéniens
6
C’est au nom de ce principe que le PACS, le mariage pour tous, et de nos jours la PMA sont revendiqués.
7
Ce n’est pas le même que celui de Rousseau. Lui théorise un échange de liberté, pas une perte de liberté; mais la volonté générale et la collectivité sont plus importantes

Introduction aux œuvres

A  Aristophane: Les Cavaliers et L’Assemblée des femmes

1  Théâtre et démocratie: effets miroirs

(a)  Le théâtre: une institution civique

L’affaire de toute la Cité

 
Le théâtre est une assemblée de citoyens (cf. hémicycle) réunis pour écouter. Si à l’Assemblée les citoyens écoutent les orateurs parler depuis la tribune, au théâtre, ils écoutent les acteurs présents sur l’orchestra (lieu où chante le chœur) ou le proskenion (où évoluent les acteurs).

La représentation théâtrale est une fête religieuse et une fête civique qui implique l’ensemble des citoyens. Des femmes et des métèques pouvaient même assister aux représentations. Deux fêtes principales dans l’année, sous le signe du dieu Dionysos: les Lénéennes et les Grandes Dionysies. Au cours des célébrations sont organisées des compétitions dramatiques (tragédies et comédies).

Les concours sont organisés par un magistrat chargé de désigner les participants au concours et de constituer le jury. Ce magistrat désigne un chorège, riche citoyen chargé de recruter et de financer le chœur (dirigé par le coryphée), composé de citoyens. La participation aux spectacles est l’une des obligations civiques des citoyens.

À la fin des représentations, 10 juges votent pour les 3 pièces qui ont leut préférence (cf. [AFp254] où c’est directement mentionné). C’est le théâtre des citoyens, par les citoyens, pour les citoyens

Théâtralité de la parole

 
Il y a un autre effet miroir entre le théâtre et la démocratie: le rôle de la parole agonistique. À l’Assemblée il y a échange d’arguments, et des débat contradictoire entre adversaires. La comédie ancienne (e.g. [AC]) est fondée sur l’agôn et notamment le duel verbal. La parole agit, elle est l’action (l’action de convaincre, d’agir sur l’autre).

Dans [AC], la préparation des femmes est marquée par la théâtralité:

(b)  Le théâtre comme satire de la démocratie

La comédie permet d’interpeller les citoyens rassemblés et de mettre en scène leurs travers. Les personnages peuvent désigner ou apsotropher le public, rompant l’illusion théâtrale pour rappeler les spectateurs à leurs responsabilités.

La comédie d’Aristophane est un spectacle polémique et politique, qui met en scène la crise de la démocratie athénienne et doit provoquer la réflexion, voire la réaction du public. Par exemple, dans [AC], Démos est le double du spectateur, miroir qui leur permet de prendre conscience d’eux-même.

Alors que certains démagogues comme le paphlagonien endorment le peuple, il s’agit pour Aristophane d ele réveiller au moyen de la comédie ! Engueuler Démos « à moitié sourd » ([ACp51]), pour quitter la démagogie et entammer la pédagogie.

2  Les Cavaliers

Il s’agit d’une pièce de jeunesse d’Aristophane, qui remporte le premier prix des Lénéennes. Il pointe la crise à laquelle la démocratie athénienne fait face, pendant la guerre du Péloponnèse menée par la ligue de Délos (Athènes) contre la ligue du Péloponnèse (Sparte). Cette guerre est soutenue par les catégories populaires mais dénoncée par les plus riches, qui doivent financer les trières et dont la classe des Cavaliers fait partie.

(a)  Triomphe de la jeunesse et régénération de la Cité

Le thème de la jeunesse est omniprésent:

Il y a une réelle nostalgie de la grandeur passée d’Athènes, du temps des héros, du courage (c’est l’« Antique Athènes »).

(b)  Le Paphlagonien et le Charcutier: trajectoires croisées

Cléon, modèle du Paphlagonien

 
Cléon est un homme politique d’origine populaire (son père était tanneur) et un orateur virulent et emporté, assumant un langage populaire, familier et parfois vulgaire.

C’est l’ennemi personnel d’Aristophane, qu’il a attaqué en justice avant Les Cavaliers. C’est un fervant partisan de la poursuite de la guerre contre Sparte, avec le soutien du peuple. Il a profité des démarches de Démosthènes et Nicias pour s’arroger la victoire de Pylos (allusion [ACp52])

Le Paphlagonien est largement inspiré de Cléon (nommément cité [ACp123]) mais aussi une création de la fantaisie d’Aristophane.

Portrait du Paphlagonien: une grande gueule

 
Le Paphlagonien est décrit comme un être violent et tyrannique, comme son nom le suggère (paphlazein signifie bouilloner, vociférer, mais aussi bredouiller, blablater). Il ne cesse de gueuler et de hurler ([ACp70-72-74]). C’est l’homme des « coups de queule » ([ACp89]) et des « tonitruantes paroles » ([ACp96]) dont la voix puissante évoque le torrent1 Cyclobore ([ACp59])

Il sème le désordre dans la Cité, la « bouleverse » ([ACp70]), la met « sens dessus dessous » ([ACp74]). C’est l’homme du trouble2 et du chaos: voir la comparaison avec la pêche aux anguilles3 ([ACp113]) et la comparaison avec le titan Typhon ([ACp90]).

Il apparaît également comme ogre, monstre vorace qui cherche à engloutir toujours plus de nourriture. C’est un « gouffre », une « Charybde de la rapine » ([ACp69]) qui « mang[e] les deniers publics » ([ACp69]), se remplit les boyaux au prytanée ([ACp71]), dévore le bien de Démos: voir métaphore de la mauvaise nourrice ([ACp101])

Tyrannique, il cherche aussi à « engloutir » le Charcutier([ACp100]) comme il engloutit les employés qu’il corrompt ([ACp111]). C’est un personnage de l’hybris

Enfin, c’est un flatteur et un démagogue (voir [ACp141]: hyperbole avec énumération, séduire de seducere: détourner du droit chemin). Pour parvenir à ses fins, le Paphlagonien doit ruser, duper et tromper Démos:

L’ascension du Charcutier-Agoracritos

 
Les différents duels qui opposent le Paphlagonien au Charcutier conduisent à la chute du Paphlagonien, condamné à rejoindre les marges géographiques et sociales de la ville ([ACp158])

3  L’assemblée des femmes

La pièce est datée de 392 avt. J.C: Athènes a perdu la guerre du Péloponnèse, la cité est ruinée. Le texte présente une hantise de la pauvreté et de la famine, la pièce est plus pessimiste que Les Cavaliers ([AC])

(a)  Le monde renversé

La pièce est fondée sur une inversion carnavalesque: les femmes prennent les rênes de la cité: c’est l’instauration d’une gynécocratie, impensable pour les Grecs.

L’inversion des rôles est le remède grotesque à un mal exposé par Praxagora au début de la pièce ([AFp175]). C’est parce que les hommes se sont dé-saisis de leur rôle de citoyens, qu’ils ont abandonné les affaires publiques, que les femmes prennent en mains le destin de la cité.

(b)  Praxagora, une amie qui vous veut du bien: de l’utopie à la dystopie

Le programme de Praxagora repose sur la mise en commun, la collectivisation:

Cela correspond à une radicalisation du principe d’égalité (isonomie)

Praxagora agit donc au nom du Bien... et prétend faire le Bien des Athéniens malgré eux. La cité de Praxagora ne présente-t-elle pas le visage souriant de la tyrannie ?

L’erreur de Pragaxora, c’est de confondre l’oikos (la maison) et la polis (la cité): elle transforme la cité en vaste espace privé, sans place pour la politique.

Note sur Lysistrata

C’est une pièce écrite entre [AC] et [AF]. Elle rassemble des thèmes présents dans les deux œuvres. Pendant la guerre du Péloponnèse, les femmes en ont marre et trouvent un stratagème pour y mettre fin: la grève du sexe jusqu’à la paix. Cela fonctionne et la paix est rétablie.

Deux thèmes importants apparaissent: le désir de paix (fin de la guerre), et le pouvoir pris par les femmes. Ces deux thèmes sont souvent présents dans les œuvres d’Aristophane

B  Tocqueville: De la démocratie en Amérique

1  Éléments biographiques

Alexis de Tocqueville (1805-1859) est issu de la haute noblesse normande. Une partie de sa famille est tuée pendant la Terreur. Il est notamment l’arrière-petit-fils de Malesherbes, avocat de Louis XVI et guillotiné en 1894. Ses parents échappent de justesse à l’échafaud.

Tocqueville est donc très marqué par la violence révolutionnaire, dont le spectre hante son œuvre. Il prend soin de distinguer:

Devenu magistrat, Tocqueville est chargé en 1830 par l’État français de se rendre aux États-Unis pour y étudier le système pénitentiaire. Il s’embarque en avril 1831 pour le Nouveau Monde, avec Gustave de Beaumont. Ils publieront le rapport exigé sur l’organisation des prisons mais ce voyage est surtout un prétexte pour Tocqueville, qui désire étudier la démocratie américaine.

Il publie ainsi le premier tome de De la démocratie en Amérique en 1835 et le second en 1840.

2  L’amérique ou le laboratoire de la démocratie

(a)  Une société nouvelle

Parce que la démocratie s’y est instaurée sans rupture avec un ordre précédent, les États-Unis sont considérés par Tocqueville comme un véritable laboratoire de l’expérience démocratique, le pays permettant d’observer la démocratie à l’État pur: voir Texte 13.

La démocratie est un processus inexorable et « providentiel » qu’il est inutile de vouloir enrayer. Il s’agit dès lors de l’étudier objectivement, sans nostalgie, d’en repérer les possibles dérives pour tenter de les prévenir.

Il y a des différences fondamentales entre la société aristocratique et la société démocratique

Société aristocratiqueSociété démocratique
Société fondée sur l’inégalité et le privilège
Société fortement hierarchisée
Égalisation des conditions: l’égalité est le
« fait générateur » de la démocratie.
  – Égalité des droits
  – Égalisation progressive des fortunes
  – « les grandes richesses disparaissent;
  – le nombre des petites fortunes
  – s’accroît » ([Tp187])
Système d’interdépendances et de solidarités
au sein des ordres et des corporations.




  → Liens sociaux peu nombreux, inégalitaire
  → mais très solides et codifiés
L’égalité conduit les individus à rechercher
l’indépendance vis -à-vis de leurs égaux.
« Tous les liens de race, de classe, de patrie se
détendent; le grand lien de l’humanité se
resserre » ([Tp188])

  → Les liens sociaux sont plus
  → nombreux et plus lâches. Société
  → atomisée et individualiste.
«L’aristocratie avait fait de tous les citoyens une longue chaîne qui remontait du
paysan au roi; la démocratie brise la chaîne et met chaque anneau à part» (II, 2)
Société fixiste: individu assigné à un lignage
et à une classe sociale. Ordre social immuable.
Mobilité sociale: les familles sortent ou
entrent dans la misère, un individu peut
changer de classe sociale
Principe de l’honneur: recherche de
l’excellence, de l’exception, de la distinction.
Avec l’égalité, «presque tous les extrêmes
s’adoucissent et s’émoussent» ([Tp188])
Tout est moyen (médiocre) et les individus
recherchent une vie paisible et tranquille.

  → Uniformité de la société: l’individu se
  → perd dans «cette foule innombrable composée
  → d’êtres pareils
Le souverain a un pouvoir limité et partagé
avec l’aristocratie:
  – Sociétés décentralisées (pouvoir locaux)
  – Corps intermédiaires entre le souverain
  – et ses sujets ([Tp87], [Tp120])
  – «indépendance des particuliers» ([Tp167])
L’individu indépendant se retrouve isolé, faible et
désarmé face au pouvoir central:
  – Disparition des corps intermédiaires
  – Centralisation et concentration du pouvoir
  – Vulnérabilité du citoyen face à l’État et à
  – la société

Tocqueville nous dit également: « Les hommes qui habitent les pays démocratiques n’ayant ni supérieurs, ni inférieurs, ni associés habituels et nécessaires, se replient volontiers sur eux-mêmes et se considèrent isolément. J’ai eu occasion de le montrer fort au long quand il s’est agi de l’individualisme. »

Remarque: Les notions d’égoisme et d’individualisme sont distinctes. Pour Tocqueville, l’égoisme est une passion humaine universelle (elle existe dans toute les sociétés) qui consiste à faire passer son intérêt avant celui des autres. L’individualisme caractérise la situation de l’homme en démocratie. Ce n’est pas une passion mais un raisonnement qui consiste précisément à se considérer isolément des autres individus.

(b)  La démocratie comme fait social

La démocratie ne peut se réduire à un régime ou à un système d’institutions. Elle est un fait social qui englobe de nombreux aspects de la vie: la démocratie façonne les mœurs, les goûts, les manières d’être, de parler, de travailler et de se vêtir, les relations entre les individus.


Objectifs du Tome II:

3  Structure du livre

(a)  Problématique

La démocratie peut se renverser en despotisme lorsque les conséquences de l’égalité remettent en cause la liberté individuelle. Tout l’enjeu du texte est donc de prévenir ces excès pour « faire sortir la liberté du sein de la société démocratique » ([Tp166]), c’est-à-dire d’une société mue par la passion de l’égalité.

(b)  Chapitre 1

La démocratie peut nourrir deux craintes:

(c)  Chapitre 2-5: La démocratie entraîne la centralisation et la concentration du pouvoir

(d)  Chapitre 5-6: Le pastorat/paternalisme démocratique: une tyrannie nouvelle

Le pouvoir ne se contente pas d’accumuler ses prérogatives et de vouloir diriger le peuple. Il veut aussi « le rendre heureux malgré lui-même » ([Tp124])

Chapitre 5

Le souverain veut rendre le peuple « heureux malgré lui-même », s’immisce dans ses affaires privées, prétend être « un précepteur5 » et un « guide » ([Tp124-125])

Chapitre 6

Tyrannie douce et infantilisation des citoyens se complaisant dans cet état de minorité intellectuelle ([Tp152-157])

(e)  Chapitre 7: Les remèdes

Les corps secondaires (ou corps intermédiaires)

Les « formes »

(f)  Chapitre 8: Conclusion. Tableau général de la démocratie, craintes pour l’avenir

Le livre est hanté par la crainte et l’angoisse. La démocratie se tient sur un seuil historique qui peut porter les peuples vers la lumière ou les plonger dans l’abîme:

C  Roth: Le complot contre l’Amérique

1  Démocratie du roman, roman de la démocratie

(a)  Le roman comme démocratie

On peut postuler avec Nelly Wolf qu’il existe « une démocratie interne au roman ». Le roman multiplie les voix, confronte les points de vue : le roman est un art polyphonique qui organise « une sorte de débat sans fin, analogique du débat public en démocratie ». Nelly Wolf écrit encore : « Le roman propose une expérimentation fictive du débat d’idées en démocratie »

La polyphonie permet l’expression de points de vue divergents et met en scène le conflit des interprétations qui structure toute démocratie. Voir par exemple le débat que suscite le programme « Des Gens parmi d’Autres » au sein de la famille du narrateur:

(b)  Philip Roth, romancier de la société américaine

Une grande partie de l’œuvre de Philip Roth (1933-2018) s’attache et s’attaque aux travers de la société américaine. Voir en particulier sa « Trilogie américaine » :

2  L’irruption de l’Histoire dans une famille sans histoire

          « Et puis l’histoire fit une nouvelle irruption fracassante dans notre vie » [Rp268]

Remarque sur le titre anglais : The Plot against Amercia. Deux sens possibles :

(a)  Le contexte historique

Un pays éprouvé

 
Au début des années 1940, les Etats-Unis se relèvent à peine de la grande Crise de 1929 ([Rp11]). Roosevelt y répondit avec le New Deal, politique d’intervention de l’État dans l’économie, de relance de la consommation et de soutien des classes populaires.

Lindbergh semble ramener le pays au temps sûr et glorieux d’avant la Crise ([Rp52,84]). Lindbergh représente un refuge pour un pays éprouvé et traumatisé par la crise.

L’isolationnisme

 
Les Américains ont soif de normalité et de sécurité. À la veille de la seconde guerre mondiale, le courant isolationniste est très fort dans la société américaine. L’isolationnisme est une doctrine politique qui prône le repli des Etats-Unis sur leurs intérêts propres et l’absence d’interventions à l’étranger.

Dans les années 1930, l’association « America First » est le fer de lance du mouvement isolationniste, qui reproche à Roosevelt de vouloir engager les Etats-Unis dans la guerre qui menace en Europe. Ils voient donc en Lindbergh le champion de leur cause ([Rp29]). Tout le discours de campagne reposera sur cette alternative : non pas Lindbergh ou Roosevelt, mais « Lindbergh ou la guerre ».

L’antisémitisme

 
Lien entre isolationnisme et antisémitisme puisque les isolationnistes s’opposent à ce qu’ils considèrent comme un parti de la guerre autour de Roosevelt, sous l’influence de la communauté juive ([Rp29]).

Roosevelt est considéré depuis les années 1930 comme le candidat des Juifs, si bien que le New Deal fut surnommé le «Jew Deal» par une partie de l’opposition. Le narrateur rappelle également que Roosevelt promut des Juifs aux plus hautes fonctions de l’État ([Rp39]).

La candidature de Lindbergh prolonge et réveille l’antisémitisme larvé de la société américaine :

(b)  Autobiographie et uchronie

Dans son roman, Roth s’appuie sur la réalité historique pour en faire dévier le cours et imaginer ce qu’il appelle lui-même « le récit d’une histoire alternative », une uchronie.

Cette contre-histoire se mêle à une contre-vie puisque Philip Roth s’appuie sur des éléments autobiographiques et présente son roman comme des « Mémoires », écrits à la première personne.

—→ Dans Le Complot contre l’Amérique, tout devient méconnaissable : l’Amérique, la démocratie, mais aussi la famille du narrateur. Tout ce qui était familier et sûr devient étrange et incertain.

Dès le premier chapitre, l’histoire de la famille de Philip Roth et la grande histoire s’entrelacent.

Symboliquement, Lindbergh est le père de Sandy (incarnation, annonciation7)

Survient alors le « premier choc » ([Rp11]) de juin 1940, « le premier coup de boutoir contre l’immense capital de sécurité personnelle » ([Rp20]) acquis par le narrateur.

(c)  Enlèvement, arrachement et dislocation

Certains motifs montrent la porosité entre la situation politique et la famille Roth, la perméabilité entre la sphère publique et la sphère privée.

L’enlèvement

 
L’enlèvement du fils de Lindbgerh défraie la chronique en 1932 ([Rp18]) et ajoute une nouvelle dimension à la légende du personnage qui devient un « martyr ».

À son retour du Kentucky, Sandy est métamorphosé8 et a incorporé l’habitus des paysans chrétiens (démarche, accents, ...) [Rp138-139]

Sandy, qui devient ensuite sergent-recruteur pour le Bureau d’Assimilation et le programme « Des Gens parmi d’Autres », semble enlevé à sa famille, enlevé à son tour : « Pas la peine de le kidnapper, Lindbergh l’avait déjà ravi, avec tous les autres » [Rp285]

L’arrachement et la dislocation

 

3  La mise en crise des mythes de la démocratie américaine

Le roman est une mise à l’épreuve des grands mythes de la démocratie américaine et de la confiance que les personnages placent dans ses institutions.

(a)  Le mythe Lindbergh

Lindbergh est une figure mythique de l’Amérique conquérante et héroïque.

Lindbergh est donc l’image de :

(b)  Le melting pot démystifié : racisme et fragmentation de la société

Depuis le début du XXe siècle, l’expression « melting pot » désigne aux Etats-Unis un processus d’intégration permettant aux diverses vagues d’immigration de se fondre en un tout harmonieux et cohérent. Or, le roman fait voler en éclats cette apparente cohésion sociale et culturelle.

Le divorce entre américanité et judéité ou l’assignation à une identité particulière

 
La famille de Philip, comme l’ensemble de la communauté juive de Newark, semble parfaitement intégrée aux Etats-Unis, dont elles partagent les valeurs et les symboles. Lire [Rp14-16]. L’identité juive du narrateur n’est jamais opposée à l’identité américaine – qui semble primer sur tout particularisme religieux ou culturel – et n’est jamais revendiquée comme telle.

« Leur judéité n’était pas une infortune ou une misère dont ils s’affligeaient et pas davantage une prouesse dont ils tiraient fierté. [...] Leur judéité était tissée dans leur fibre, comme leur américanité » [Rp317]

Une fois au pouvoir, Lindbergh exalte à son tour « l’américanité » mais lui confère un sens ethnico-religieux en la réduisant à la majorité blanche et chrétienne.

La loi Homestead 42 : le retournement du mythe de la conquête et de la Frontier

 
La loi Homestead 42 fait écho à la loi de peuplement promulguée par Lincoln en 1862. Il s’agissait alors à encourager les colons à s’installer dans les territoires plus reculés et hostiles de l’ouest. Mythe fondateur de la conquête de l’Ouest et de la Frontier, exaltation de l’aventure et de l’effort individuel (cf. [Rp295-296]).

Mais alors que la loi de 1862 visait l’expansion et l’extension du territoire américain, la loi de peuplement de 1942 vise au contraire à enfermer les familles juives dans des territoires majoritairement chrétiens.

Conclusion: un roman sur le fil...

Roman de l’insécurité où tout menace de basculer. Le regard de l’enfant se tient sur le fil du rasoir, au bord de la tragédie, et vit ces années sur le mode du cauchemar et de l’hallucination ([Rp70] et [Rp245]). Dans ce tissu social qui menace de se déliter, ne faut-il pas un nouveau M. Taylor pour renouer le fil de l’histoire et de la démocratie ?


1
La violence du Paphlagonien est comparée à celle des éléments déchaînés
2
Dans les deux sens: il trouble les affaires pour qu’on n’y voie plus rien.
3
Le thon, les anchois et les anguilles sont des plats luxieux. Dans les représentations de l’antiquité, l’apétit de poisson représente la tyrannie.
4
Savoir s’en sortir, se débrouiller
5
le précepteur s’adresse aux enfants, il y a une infantilisation du peuple
6
L’expression vient d’Étienne de La Boétie
7
Annonce de la maternité de la sainte vierge par Gabriel
8
Cheveux éclaircis, transition juif → wasp (white anglo saxon protestant)

Annexe A  Prestige et promesses de la démocratie

A  L’imaginaire politique de la démocratie

Toute société est fondée sur un imaginaire politique, qui passe en particulière par des récits, des mythes fondateurs qui lui donnent sa cohésion. Ces mythes sont d’autant plus importants en démocratie (auto instituée, sans autre fondement qu’elle même), ils sont des figures tutélaires pour assurer la cohésion, la certitude dans certaines valeurs. La démocratie ne repose pas que sur la raison, elle ne relève pas d’une adhésion purement rationnelle mais plutôt d’une forme de foi ou de croyance en des valeurs fondatrices (égalité, liberté, ...) et en un certain nombre de figures et de mythes fondateurs. John Dewey dit que la démocratie repose sur une foi: chaque individu peut assurer son rôle de citoyen.

« J’ai tendance à croire, dans une large mesure, l’exubérance avec laquelle moi et les autres enfants juifs de ma génération avons saisi notre chance après la guerre (...) venait de notre foi dans le caractère illimité de la démocratie où nous vivions et à laquelle nous appartenions » (Phillip Roth, Les faits. Autobiographie d’un romancier)

1  Mythes et pères fondateurs

Chez Aristophane.

L’autochtonie est un mythe fondateur centrale pour la démocratie Athénienne. Démos est décrit comme un autochtone1: « naïf enfant de Cécrops2 » [ACp129], qualifié d’Erechtéide3 [ACp126-127]. Les cavaliers, lors de la parabase, parlent des pères fondateurs: « nous voulons rendre hommage à nos pères, parce qu’ils se montrèrent dignes du pays et du peplum » [ACp93]. Référence à Thémistocle (l’un des pères fondateurs d’Athènes, qui lui donne son port, rôle central dans les guerres médiques) [ACp110]. Plus largement, Aristophane est nostalgique de l’age d’or d’Athènes, au moment où Athènes a triomphé contre les perses (batailles de Marathon, Salamine), il est nostalgique de l’ancienne gloire d’Athènes. Pour Aristophane, la bonne démoratie est celle qui respecte les traditions ancestrales. [ACp157] Démos renoue avec sa vie traditionnelle à la campagne. Dans L’Assemblée des Femmes, [AFp176], Praxagora explique pourquoi il serait bon de donner le pouvoir aux femmes: elles procèdent selon « l’antique usage », et ne sauraient innover, elles font les choses « comme autrefois ». Il y a valorisation de la tradition. C’est paradoxal puisque les femmes elles même vont innover.

Chez Philip Roth.

  [Rp90] « Nous comptions bien sur cette histoire de l’Amérique, ici représentée sous sa forme la plus exaltante, pour nous protéger de Lindbergh. ». [Rp89] Mention des timbres de la démocratie. [Rp457] Les personnages qui incarnent les valeurs démocratiques, en qui le narrateur fait confiance, sont divinisés, ils font l’objet d’une foi. Les auteurs de la déclaration d’Indépendance (Founding Fathers) sont évoqués comme des références sacrées pour la démocratie américaine. La femme de lindbergh est elle-même sanctifiée, incarnant les textes même de la démocratie. [Rp259] Roosevelt annonce la rédemption, il est sanctifié (image religieuse de la rédemption). Il s’appuie lui aussi sur les grands textes de la démocratie. [Rp380] Winchell: « dans toutes les paroisses où il montrait ses stigmates aux fidèles »

Chez Tocqueville.

Hypotypose4 [Tp186] « Je remonte de siècle en siècle jusqu’à l’antiquité la plus reculée; je n’aperçois rien qui ressemble à ce qui est sous mes yeux. Le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. ». [Tp108] « Les Anglais qui vinrent, il y a trois siècles, fonder dans les déserts du Nouveau-Monde une société démocratique », comme si la démocratie se construisait ex nihilo5, comme les déserts.

Les peuples démocratiques célèbrent la figure même du peuple, qui devient une figure tutélaire de la démocratie: [Tp90] « et l’on n’aperçoit plus que la vaste et magnifique image du peuple lui-même ».

En démocratie, l’État prend d’une certaine manière la place de Dieu et du roi (les anciennes figures fondatrices). Il devient le père fondateur de la démocratie: [Tp93] « Tous conçoivent le gouvernement sous l’image d’un pouvoir unique, simple, providentiel et créateur. », comparé à « la puissance paternelle » ([Tp153]). L’individu faible et isolé « tourne naturellement ses regards vers cet être immense qui seul s’élève6 au milieu de l’abaissement universel [...] et c’est lui qu’il finit par envisager comme le soutien unique et nécessaire de la faiblesse individuelle. » [Tp100]. [Tp127] « car, chez une nation démocratique, il n’y a que l’état qui inspire de la confiance7 aux particuliers, parce qu’il n’y a que lui seul qui leur paraisse avoir quelque force et quelque durée »

2  Symboles de la démocratie, des liens et des lieux

Chez Aristophane.

Présence des lieux emblématiques de la démocratie (voir introduction À faire: ref). Le peplum est un vêtement féminin qu’on offrait à Athéna à l’occasion des fêtes annuelles des Panathénées. Il symbolise les liens entre les individus, la cohésion de la communauté politique.


Figure A.1: Le tissu manipulé est le peplum

Chez Roth.

Mr Taylor (guide touristique): c’est celui qui tisse le récit de la démocratie Américaine. Il est le personnage du lien politique (il rattache la famille Roth à la démocratie). Ce voyage, décrit comme un pélerinage, est marqué de solénnité, de grandeur (lieux qui fascinent, qui subjuguent). Les lieux de la démocratie sont décrit comme des temples, ce sont des lieux sacrés. Les personnages sont plongés dans un silence religieux (« je choisis d’exprimer ma terreur sacrée par le silence »). Lors de la visite de l’obélisque, « majesté » (toujours le registre de l’hyperbole). En parlant de la statue de Lincoln au Lincoln Memorial: « Le visage sculpté du président me parut réunir, essence même de la sainteté, la face de Dieu et les traits de l’Amérique. » [Tp98]. En sortant, « C’était le plus beau panorama qu’il m’ait été donné de voir, un Éden patriotique, un paradis terrestre américain qui s’étendait à nos pieds ». Le marbre donne une impression de solidité, de pérennnité, de stabilité, d’éternité. Ces lieux nourissent la croyance et la foi des personnages en l’invincibilité de la démocratie, fondée sur des bases imposantes. Mais il y a ambivalence du rôle de ces monuments: ils sont les temples de la démocratie mais en même temps les musées de la démocratie, impuissants face à l’antisémitisme qui se déploie en leur sein même.

La démocratie n’est pas qu’une affaire de symboles, de formes, mais doit être concrètement incarnée par les citoyens. Les valeurs ne peuvent pas être simplement commémorées, mais activement mobilisées. Par ailleurs, Winchell est tué à Louisville [Rp394] devant un tribunal, et devant la statue de Jefferson (l’un des pères fondateur de la démocratie): c’est la démocratie qu’on abbat.

Au sein de la famille Roth, des symboles existent. Leur bibliothèque ([Rp395]) s’assimile à un autel, elle contient tous les textes sacrés de la démocratie. Elle est placée dans une pièce ensoleillée (veranda, sun room dans le texte original), illuminée.

3  Do we need another hero ?

                 Quelle est la place du héro, des grands hommes en démocratie ?

(a)  La démocratie ou la fin des héros

Michaël Foessel dit: « La démocratie est un régime qui ne suppose ni l’héroïsme, ni le sacrifice. ». J. Dewey nous dit que la démocratie est la foi dans l’homme du commun. Il semble donc que la démocratie soit incompatible avec l’héroïsme traditionnel

Chez Aristophane.

Pour Aristophane, la démocratie signe la mort de l’age héroïque. Il déplore cette fin des héros par l’intermédiaire de ses personnages. Par exemple dans la parabase avec les cavaliers [ACp93-94] « Nous voulons rendre hommage à nos pères, parce qu’ils se montrèrent dignes » (vayance, bravoure, sacrifice pour la cité, ...). [ACp128] Prophétie. Les grands héros sont comparés à des lions. Littérature épique, épopée, mais le Paphlagonien n’est pas digne de l’épopée (ironie de Démos: « Je ne me suis pourtant pas aperçu que tu t’étais métamorphosé en lion. », puis ce n’est pas le lion qui protège Démos mais c’est Démos qui doit protéger le Paphlagonien), il y a inversion de l’image épique: cela montre la dégadation de l’héroïsme.

Dans l’Assemblée des femmes, [AFp251], le jeune homme se plaint dans un registre tragique. C’est une parodie de discours épique, de discours héroïque (il meurt parce qu’il est écartelé par trois vieilles).

Le charcutier, présenté comme sauveur de la cité, est un héros (plus que les cavaliers). C’est lui qui sauve concrètement la cité.

Chez Tocqueville.

Selon Tocqueville, la démocratie est le régime de la médiocrité, du moyen, qui s’oppose à l’excellence aristocratique. [TcV-1ptI-1ptI-1ptI] « S’il se rencontre peu de grands dévouements, de vertus très-hautes, très-brillantes et très-pures, les habitudes sont rangées, la violence rare ». « L’esprit humain se développe par les petits efforts combinés de tous les hommes, et non par l’impulsion puissante de quelques-uns d’entre eux »

Chez Roth.

Alvin et Lindbergh sont les deux figures héroïques du roman, mais leur figure est disqualifiée dans le roman. Alvin perd sa jambe puis se désintéresse complètement de la vie politique (héroïsme amputé, devient un antihéro). Lindbergh est l’incarnation de l’américain légendaire: [Rp335] « Moi je n’étais pas comme Sandy, chez qui les circonstances avaient fait naître le désir d’être un garçon majuscule, chevauchant la vague de l’histoire. ». Sandy est fasciné par l’image de Lindbergh [Rp45] « C’était un héros viril, un courageux aventurier. ». Lindbergh est pourtant le fossoyeur de la démocratie, c’est un crypto-faschiste. Le personnage est mystifié dans le but de tromper, de séduire le peuple. Le héros Lindbergh est un fantasme dangereux car c’est un fantasme de regression. En se projetant dans le mythe Lindbergh les américains refusent l’histoire et d’y prendre part.

(b)  Les héros humbles de la démocratie

L’héroisme traditionnel relève du sur-humain. En démocratie, l’héroisme a un visage humain, et est dans la mesure de l’Homme (pas de la démesure, comme dans l’Antiquité)

Chez Aristophane.

Le Charcutier et Praxagora sont des héros du quotidien (ils veulent sauver la cité). On perçoit l’humilité du charcutier à sa première réaction: il refuse le pouvoir, se sent illégitime dans la prise de pouvoir ([ACp64-65]). Par ailleurs, les deux réformateurs, les deux sauveurs ont un nom composé à partir d’Agora (Agoracritos pour le charcutier, Praxagora), un lieu que tout le monde traverse.

Chez Roth.

C’est chez les gens ordinaires qu’on trouve un hérosisme authentique. Mr Cucuzza est une figure héroïque humble, du quotidien (défenseur de la démocratie, contre Mussolini). Herman fait figure de vigie8 de la démocratie, de combattant de la démocratie, de résistant (plutôt passive). C’est celui qui ne perd jamais foi dans les valeurs de la démocratie, il garde ses convictions civiques chevillées au corps. [Rp269] « Assez de ces niaiseries, Evelyn, nous ne sommes pas des gens importants. Fiche-nous la paix, s’il te plaît. Les gens ordinaires ont déjà bien assez de tracas comme ça. ». Il n’a pas ailleurs aucune volonté de domination: [Rp182] « faire quelque chose de sa vie lui suffisait, sans pour autant décrocher la lune9 ou démolir son entourage. Mon père était un lutteur-né. ». Hermann est doté d’une force morale qui fait de lui le héros démocratique par excellence. [Rp505] Herman, tel Ulysse, vit une odyssée: retrouvailles père/fils (Télémaque/Ulysse, Herman/Seldon), le chemin est parsemé d’épreuves, de monstres (cyclopes/ville monstre). Par ailleurs on sait que Herman n’a jamais été solda: il y a déplacement de l’héroisme.

Conclusion

La démocratie repose sur la conscience, sur l’imaginaire, sur l’affect autant que sur la raison. Cependant, on a vu que les grands symboles de la démocratie ne suffisent pas: elle ne doit pas être simplement célébrée, proclamée ou commémorée, mais incarnée au quotidien par des personnages ordinaires. La démocratie ne doit pas être simplement abstraite mais doit être concrète. Elle ne doit pas simplement être formelle, elle doit être réelle.

B  Procédures et processus de la démocratie

1  Confrontation et délibération

(a)  Le face-à-face vs. la ruse et le détour

La démocratie se nourrit de la confrontation, de l’antagonisme, de l’affrontement, elle se joue dans un face-à-face. La démocratie, c’est l’art du désaccord, de la polémique (polemos conflit). Le combat et le débat se font directement et frontalement (analogie entre le combat des phalanges et les débat en démocratie). La ruse, le détour ne sont pas des attitudes démocratiques, mais plutot celles de la tyrannie et de la démagogie. La ruse masque et trompe, c’est anti-démocratique.

Chez Aristophane.

Le Paphlagonien flatte, séduit, c’est un démagogue. Il est comparé au babouin (cynocéphale) et au chien-goupil. Son mode d’action, c’est le biais, le détour, il n’est pas franc.

Chez Tocqueville.

  [Tp117] « La première et en quelque sorte la seule condition nécessaire pour arriver à centraliser la puissance publique dans une société démocratique est d’aimer l’égalité ou de le faire croire. ». Par ailleurs dans le Chapitre 6, Tocqueville parle du pastorat démocratique, de l’État paternaliste. L’état ruse, endors le citoyen, le berce, pour imposer une tyrannie.

Chez Roth.

La loi de peuplement est une manière détournée d’attaquer la population juive. Lindbergh et son administration manipulent le langage, manipulent les termes: « La loi vous ouvrira un milieu stimulant, baigné dans les traditions les plus vénérables de notre pays, où parents et enfants pourront enrichir leur américanité au fil des générations. ».

La ruse est utilisée en faveur de la démocratie. Par exemple, le charcutier fait preuve de mètis (ruse), il a appris sur l’Agora comment voler, tricher, etc. Cependant cette ruse est moralement discutable. Praxagora ruse pour donner le pouvoir aux femmes (déguisement). Là encore, la ruse est ambivalente. Praxagora fait l’éloge paradoxal de la ruse: « Pour se procurer des ressources, c’est très ingénieux, une femme ; et au pouvoir, elles ne seraient jamais trompées, car elles ont elles-mêmes l’habitude de tromper. »

(b)  Le champ politique, un champ de forces

La démocratie s’organise autour d’un espace public, structuré par une série de rapports de forces. L’espace public est polarisé entre des forces adversaires.

Hannah Arendt dit qu’il faut qu’il y aie matériellement un espace public pour qu’une démocratie existe (Cf. Texte 14). L’action politique passe par la parole, qui est nécessaire (Cf. Texte 15). Pour Hannah Arendt, l’intelligence collective provient de la mise en commun des visions individuelles. Ce n’est qu’ensemble que nous comprenons le monde, ça n’est que de la discussion collective que naît l’intelligence (Cf. Texte 16).

Chez Aristophane.

Dans les deux pièces, l’action politique et le rapport de forces passe essentiellement par la parole. Il montre que la démocratie est criarde: c’est le régime du chahut verbal (cf. agôn). [ACp76] Le charcutier: « Non, par Posidon, et du reste je m’en vais lutter jusqu’à la gauche pour avoir le premier la parole. ». La lutte pour le pouvoir est la lutte pour la prise de parole. Juste après, le Paphlagonien: « Qui te rend si hardi de vouloir disputer contre moi ? ». On retrouve la parole franche de la vérité dans la parabase: [ACp90] (Choeur) « Il ose dire les vérités » (contre le Paphlagonien). En grec, la parole libre, franche, directe s’appelle la parrhèsia.

L’absence de parole est un signe de disfonctionnement de la démocratie. En particulier, Démos parle peu: (Choeur) « Tu restes toujours bouche bée devant les beaux parleurs » [ACp135]. Démos est frappé de mutisme, il est infantilisé (infans, celui qui ne parle pas). Ce mutisme rappelle l’« état de mutisme » qui s’est emparé de toute la ville à cause du Paphlagonien.Dans [AF], le Chœur (censé représenté la voix de la communauté), est presque absent. Dans [AF], le Chœur (censé représenté la voix de la communauté), est presque absent.

Praxagora dit [AFp179] « Je les culbuterai à mon tour »: le combat est verbal et bien réel. Lors du débat à la Pnyx, Néoclidès et Évéon formulent des discours qui ne provoquent pas de débat, et qui relèvent de la démagogie. L’intervention de Praxagora suscite des « murmures de protestations », il y a un semblant de débat. Cependant, les hommes ayant déserté l’Assemblée, la proposition passe sans discussion. La pièce n’est pas pour autant dénuée d’agôn, par exemple l’Homme s’oppose à Chrémès. Cet affront a pourtant lieu dans la rue, en dehors des institutions de la démocratie, et dans l’intérêt personnel de l’Homme. Lorsque Praxagora présente son programme à son mari Blépyros, il y a un débat mais Blépyros (ironiquement, blépyros celui qui voit clair) est facilement convaincu.

Des mots aux mets: les bouches bouchées. Blépyros [AFp185] « quelque poire sauvage bouche le passage » (cf. référence à Thrasybule). La poire qui originellement bouchait la gorge de Thrasybule, cette fois-ci elle empêche plutot la défécation. L’intérêt des citoyens n’est plus dans la parole publique mais dans leurs affaires privées. Blépyros est concentré sur ce qu’il se passe à l’intérieur de lui, alors que la démocratie se fait à l’éxtérieur, sur la place publique. La défécation est le signe de la défection10 des citoyens. [AFp255] Mot de 170 lettres: la nourriture provoque un effet de suffocation, elle remplace les mots et empêche la parole. [AFp224] « Allons, ouvrez les mâchoires. » Les citoyens sont gavés, passifs, déshumanisés. Dans Les Cavaliers, le Paphlagonien dit « occupe-toi d’avaler, de mâcher, d’absorber, et de digérer cette pièce de trois oboles ». Démos est gavé, il vit pour manger (et non pas l’inverse)

Chez Tocqueville.

Il y a un jeu d’équilibre des pouvoirs avec les corps intermédiaires. [Tp172] « La presse est, par excellence, l’instrument démocratique de la liberté. ». Elle permet de faire entendre la nation si elle est « sourde » aux revendications des individus. De même, une association est « un citoyen éclairé et puissant qu’on ne saurait plier à volonté ».

Chez Roth.

La vie politique s’articule autour de l’affrontement, l’opposition entre le parti démocrate et le parti républicain. On peut mesurer le degré de démocratie à la quantité de conflit vivace dans la démocratie américaine. Par exemple, après les accords d’Islande, « diatribes11 enflammées » de l’opposition du Sénat et à la Chambre ([Rp85]). L’invitation de Ribbentrop à la Maison Blanche suscite un « tollé dans la presse libérale », meetings, manifestations [Rp254]. Le Bund répond par un meeting. FDR répond par un autre meeting [Rp258]. Riposte de Lindbergh [Rp260]: mise sur l’image et le spectacle. Il ne joue pas le jeu démocratique, n’apporte pas d’argument supplémentaire (il ne rappelle que son slogan). Il n’y a pas d’échange d’arguments ni d’affront verbal mais seul le spectacle compte. [Rp433] Isolement des individus (couvre-feux étendu à toute la journée), et manipulation du langage. Winchell est licensié [Rp348] alors qu’il incarnait la liberté de la presse. [Rp436] L’outrance de Winchell est préférable au laconisme de lindbergh. Mieux vaut une démocratie criarde que le silence de Lindbergh, qui vend le fascisme sur papier glacé. Lindbergh incarne une perfection froide (sans passion, purement rationnelle, parfait sur papier glacé), mais qui n’est pas celle de la démocratie.

Conclusion

« Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait », Georges Clémenceau (1888)

2  Régulations et médiations en démocratie

(a)  L’intérêt général12 comme repère

Chez Aristophane.

Chez Aristophane, le bien commun est désigné par « le salut de la cité ». [ACp60] Le charcutier est désigné comme « sauveur de la cité ». [AFp188] « Le salut de la cité » comme ordre du jour à l’Assemblée. Le programme de Praxagora est censé répondre à ce bien commun, « C’est au bien commun que concourt ton esprit inventif, qui doit réjouir le peuple-citoyen en le comblant des mille avantages de la vie » ([AFp203])

Chez Tocqueville.

C’est l’État qui représente l’intérêt général, c’est son rôle. C’est l’État qui est chargé d’assurer l’égalité, il est dépositaire de l’intérêt général et du bien commun.

[Tp88] « L’intelligence des peuples démocratiques reçoit avec délices les idées simples et générales. Les systèmes compliqués la repoussent, et elle se plaît à imaginer une grande nation dont tous les citoyens ressemblent à un seul modèle et sont dirigés par un seul pouvoir. »

En démocratie, le concensus est que l’État se charge du bien commun: « Les hommes de nos jours sont donc bien moins divisés qu’on ne l’imagine ; ils se disputent sans cesse pour savoir dans quelles mains la souveraineté sera remise ; mais ils s’entendent aisément sur les devoirs et sur les droits de la souveraineté. » [Tp93]

[Tp116] « s’il arrive que ce même pouvoir représente fidèlement leurs intérêts et reproduise exactement leurs instincts, la confiance qu’ils lui portent n’a presque point de bornes »

Le concensus en démocratie provient de cet amour pour les idées simples et générales.

Chez Roth.

 [Rp358] « Notre plus belle mission, à nous, peuple américain, c’est de vivre unis dans l’harmonie et la fraternité. » Nécessité du bien commun et du consensus. [Rp438] FDR désigne un successeur du bord politique adverse (dépasse le conflit habituel) au nom de l’unité nationale. [Rp458] « le président Roosevelt adopte la proclamation 2568 qui "accorde sa grâce à Burton Wheeler" » L’attention est focalisée sur un ennemi interne (les juifs). FDR détourne l’attention et transforme l’ennemi de la démocratie en ennemi exterieur (les nazis). La démocratie a ainsi identifié son véritable ennemi. En vue du bien commun, FDR réinstaure Wheeler (a écrit les lois martiales) dans la démocratie américaine, prouvant ainsi que la démocratie n’a pas d’ennemi intérieur.

(b)  Les formes: recours et secours du citoyen

Les formes de la démocratie permettent d’étudier le temps en démocratie. Le temps permet de s’assurer du respect des droits individuels13.

Chez Tocqueville.

 [Tp173] « La force des tribunaux a été, de tout temps, la plus grande garantie qui se puisse offrir à l’indépendance individuelle ». L’homme démocratique est un être de l’immédiateté, impatient, qui ne supporte pas la frustration14: « Les hommes qui vivent dans les siècles démocratiques ne comprennent pas aisément l’utilité des formes ». C’est un être du «hic et nunc»15. Les formes ont pour but de « servir de barrière entre le fort et le faible, le gouvernant et le gouverné, de retarder l’un et de donner à l’autre le temps de se reconnaître. » ([Tp174]).

Remarque: La tyrannie, au contraire, est le régime de l’absence des formes, de l’immédiateté, de la pulsion. L’immédiat s’oppose à la médiation.

Ainsi, les formes servent à pacifier les pulsions en démocratie, à réguler les passions, de temporiser.

Chez Aristophane.

Les lois sont d’abord préparées par la Boulè (le conseil) avant d’être débatues à l’Assemblée. L’héliée (tribunal, procès) est une forme importante. Au début de l’Assemblée, il y a un rituel (sacrifice), puis celui qui parle a une couronne. Le déroulement est formalisé et mesuré (iségorie).

Dans la démocratie cassée de [AF], Praxagora gagne (trop) vite, un homme n’a pas le temps de s’opposer à Praxagora, le programme est mis en place immédiatemment sans débat. Le tribunal est abolit (perte d’une forme importante)

[ACp255] « Et toi, qui m’as entendue, vite et vitement prends un plat. Puis hâte-toi de te servir de purée pour pouvoir dîner. » Contraction du temps.

La démocratie, c’est le luxe politique de pouvoir prendre son temps.

Chez Roth.

 [Rp463] Lindbergh explique aux nazis que « garanties inscrites dans la Constitution américaine, ainsi que des traditions démocratiques fort anciennes, prévenaient l’exécution rapide et efficace d’une solution finale au problème juif ». Ce sont les formes qui empêchent, qui retardent l’extermination des juifs. Les formes de la démocratie apparaissent comme gardes-fou, comme protection.

[Rp441] « Lorsque les Américains se réveillent pour commencer leur journée, la loi martiale a été imposée dans tous les États-Unis ». L’instauration de la loi martiale est liée à une contraction du temps (la démocratie est morte en l’espace d’une seule nuit). Il y a à cet endroit dans le texte un emballement, une précipitation des événements (chaque jour de multiples événements importants). Aux États-Unis, c’est la Cour Suprème qui est chargée de conserver la démocratie: c’est la seule institution à pouvoir casser des lois. C’est un rempart qui protège les individus contre les abus du pouvoir.

Après l’annonce de la loi de peuplement ([Rp300] À faire: environ), Beth fait appel aux formes: cette loi est illégale. Philip propose de saisir la Cour Suprème: c’est naïf, et montre l’écart entre la démocratie formelle et réelle. L’enfant devient l’allégorie de la démocratie, naïve

3  Délégation du pouvoir et représentation

(a)  Le vote et l’élection: régulation et pacification du conflit

Chez Aristophane.

 [ACp97] Les membres du conseil sont « bouche bée », incapable de parler tant qu’ils sont séduits par la démagogie du Charcutier. Il obtient la faveur du conseil à l’unanimité: le vote permet de départager les deux rivaux et de dégager le consensus. De même, à l’ecclésia dans [ACp190], le vote permet d’arriver à un consensus: on donne le pouvoir aux femmes.

Chez Roth.

Hermann à son voisin16: « J’adore voter ». Le vote est un rituel qui conditionne la démocratie, périodiquement. Hermann a une confiance inébranlable en les éléctions: tant qu’il y a des éléctions, il y a la démocratie. [Rp287] « En novembre, on aura des élections au Congrès. On a encore des urnes, les gens votent sans qu’on ait besoin de leur dire ce qu’ils ont à faire. » C’est l’idée que la démo s’auto régule grace aux élections. La démocratie est son propre remède. Cette confiance en les élection est retrouvée dans la bouche de Winchell lorsqu’il appelle au [Rp374] « pouvoir des urnes »

(b)  L’élection: une condition nécessaire mais pas suffisante

Le peuple peut se tromper, élire le fossoyeur de la démocratie.

Chez Aristophane.

Dans [AC], le charcutier est désigné au Conseil à l’unanimité par la démagogie. Le Conseil fait confiance à un ignorant, un incompétant, qui connait à peine ses lettres. Dans [AFp225-227], l’homme dénonce la versatilité des citoyens: ils changent sans cesse d’avis. Leur vote ne semble pas motivé, puisqu’il peuvent changer d’avis quelques jours après.

Chez Tocqueville.

 [Tp84] « parmi les différents gouvernements, celui qu’il conçoit d’abord, et qu’il prise le plus c’est le gouvernement dont il a élu le chef et dont il contrôle les actes. ». [Tp93] « Les hommes de nos jours sont donc bien moins divisés qu’on ne l’imagine ; ils se disputent sans cesse pour savoir dans quelles mains la souveraineté sera remise ; mais ils s’entendent aisément sur les devoirs et sur les droits de la souveraineté. » Ce qui compte, ce n’est pas l’élu mais la quantité de pouvoir qu’il a.

[Tp156] « Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs. » Les citoyens se donnent l’illusion de la liberté: c’est l’état paternaliste qui a le pouvoir. L’élection donne l’illusion de la souveraineté, pourtant c’est bien l’état titullaire qui possède le pouvoir. C’est une souveraineté illusoire car intermittente.

[Tp159] « cet usage si important, mais si court et si rare de leur libre arbitre n’empêchera pas qu’ils ne perdent peu à peu la faculté de penser, de sentir et d’agir par eux-mêmes » Lors que les citoyens sont sous la tutelle de l’état, ils ont perdu leur autonomie. Les élection n’ont plus aucun intérêt, puisque les citoyens ne sont plus doués de libre arbitre, et tombent « au-dessous du niveau de l’humanité. »

Chez Roth.

Les rabbin Bengelsdorf le rappelle à Hermann: [Rp164] Lindbergh « a été élu démocratiquement et équitablement, par une victoire écrasante. ».

Conclusion

«Même le suffrage universel ne définit point la Démocratie. (...) Un tyran peut être élu au suffrage universel, et n’être pas moins tyran pour cela. Ce qui importe, ce n’est pas l’origine des pouvoirs, c’est le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants», Alain

(c)  Les paradoxes du système représentatif

C  La démocratie comme manière de vivre

1  Introduction

(a)  Démocratie formelle et démocratie réelle: de l’incantation à l’incarnation

Les procédures et les institutions sont certes nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie, à l’expression pluraliste de ses membres et à la régulation des conflits qui en résultent. Pour autant, une démocratie authentique ne peut se contenter de ces institutions, procédures et règlements. La démocratie risque alors de n’être qu’un ensemble de principes formels sans application concrète.

Chez Tocqueville.

 [Tp172] « Pour garantir l’indépendance personnelle [des citoyens], je ne m’en fie point aux grandes assemblées politiques, aux prérogatives parlementaires, à la proclamation de la souveraineté du peuple ». La souveraineté ne doit en effet pas simplement être formelle, proclamée, abstraite, mais réalisée concrètement

Chez Roth.

On a vu que l’élection libre et règlementaire n’empêchait pas le développement, au sein même de la démocratie, d’un fascisme larvé. Les garanties offertes par la co

(b)  De la nation à la maison: démocratie à tous les étages

À faire: inclure ça, un paragraphe avant avant le 2 Dans quelle mesure peut-on gouverner la cité comme on organise la maison ?

2  Une société douce et apaisée

(Démocratie: exclure la violence des relations sociales.)

3  Indépendance et initiative individuelles: liberté, activité, instabilité

[Tp104] « Les siècles démocratiques sont des temps d’essais, d’innovation et d’aventures. ... leurs semblables. »

4  Une société plurielle

(a)  Diversité et inégalités sociales: quelle place pour l’élite en démocratie ?

(b)  La place des minorités


1
Né de la terre, il appartient à la cité
2
A instauré la civilisation, créé la cité d’Athènes, instaure des lois
3
Érechtée est né aussi de la terre, est le sixième roi d’Athènes. Héphaistos se prend d’amour pour Athéna, éjacule sur la cuisse d’Athéna qui essuie sa semance et la jette à terre, cela engendre Érechtée
4
figure de style consistant en une description réaliste, animée et frappante de la scène dont on veut donner une représentation imagée et comme vécue à l’instant de son expression.
5
à partir de rien
6
Est immense et s’élève tel une divinité
7
confiance, foi ont la même racine fides
8
celui qui est vigilent, qui surveille pour protéger
9
médiocrité apparente
10
faire défaut à
11
texte ou discours qui attaque de façon violente une personne ou une institution
12
Le bien commun
13
Pas comme pendant La terreur
14
C’est un enfant capricieux
15
ici et maintenant
16
son alter ego italien
17
«c’est l’accent des ploucs»

Annexe B  La démocratie contre elle-même

«La démocratie paraît avoir deux adversaires. D’un côté elle s’oppose à un ennemi clairement identifié, le gouvernement de l’arbitraire, le gouvernement sans limite que l’on appelle selon les temps tyrannie, dictature ou totalitarisme. Mais cette opposition en recouvre une autre, plus intime. Le bon gouvernement démocratique est celui qui est capable de maîtriser un mal qui s’appelle tout simplement vie démocratique.», Jacques Rancière

La démocratique porte en elle ses propres dérives. Elle est menacée par le dévoiement1 de ses principes. Elle engendre ses propres formes de tyrannie. Le développement de ses principes risque de saper ses bases et ses fondements.

Chez Aristophane.

Athènes est en guerre contre Spartes, une oligarchie. La démocratie athénienne est menacée de l’extérieur par l’oligarchie de Spartes.

Chez Tocqueville.

La démocratie s’arrache à la société aristocratique. C’est la raison de sa naissance, et de sa naissance dans la douleur (révolution, arrachement à l’ancien régime)

Chez Roth.

L’énnemi extérieur est le nazisme, le totalitarisme (Hitler, Mussolini).

A  De la démocratie à la démagogie

« Le discours, c’est ce qui distingue la personne humaine de l’animal et le démocrate de la brute », Françoise Giroud

1  La parole dévoyée

Chez Aristophane.
  1. [label=()] L’insulte et la menace

    [ACp81] Tout est ramené au corps, au trivial, à la bassesse. C’est le triomphe de la violence, le débat de vient combat. Stichomthies2 montre que le débat est vide d’arguments.

  2. Accusation et calominie

    [ACp72] « Je te calomnierai », ...

    [AF] Les sycophantes calomnient.

    Le débat se dépolitise et se judiciarise.

  3. Prophéties et Oracles

    Les oracles et les prophéties se tiennent du côté du mythos (vs logos). [ACp52] « Il lui chante des oracles et le vieux se met à délirer comme la Sibylle ». Les prophéties [ACp126] sont sujettes à manipulation, l’interprétation est libre et mise au service de la démoagogie.

  4. De la passion à la séduction

    Il y a passage du logos au pathos. [ACp103] « Parce que j’ai de l’affection pour toi, Démos ; que dis-je ? de l’amour. », « Tu ressembles aux jeunes gens qui ont des amants ». Les rôles sont renversés (Démos devrait être éraste, pas éromène), Démos fait preuve d’une passivité qui n’est pas la sienne. Il se contente d’une situation passive alors qu’il devrait avoir l’initiative de courtiser, d’être actif.

Chez Tocqueville.

« L’intelligence des peuples démocratiques reçoit avec délices les idées simples et générales » [Tp88] « La première, et en quelque sorte la seule condition nécessaire pour arriver à centraliser la puissance publique dans une société démocratique est d’aimer l’égalité ou de le faire croire. » [Tp117] Il suffit pour le despote de feindre l’égalité. C’est l’abus de la crédulité du peuple.

Chez Roth.
  1. [label=()] L’insulte

    [Rp121] « Vous en faites pas, ces Juifs le découvriront bien assez tôt. »

    L’insulte enferme dans le regard méprisant d’autrui, elle assigne de force une identité, elle piège dans le regard de celui qui insulte.

    «C’est l’antisémite qui fait le juif», Sartre

    Winchell, même s’il lutte pour la démocratie, emploie les outils de la démagogie. [Rp38] « Winchell, avec son débit de mitrailleuse et son cynisme pugnace, conférait à tous les scoops l’impact sensationnel d’une dénonciation. » La Lotion Jergens licencie Winchell pour avoir porté des accusations [Rp345] « que seul le démagogue le plus éhonté aurait imaginées pour soulever les passions de la populace »

  2. Perversion du langage et du sens

    [Rp268] Lindbergh: « un homme du peuple au parler vrai et au réalisme pragmatique »

    Lindbergh annonce que sa candidature a pour but de « préserver la démocratie américaine » [Rp52]

    « Just Folks »: « encourager les minorités religieuses et nationales à s’intégrer davantage à la société américaine » [Rp129]. Ambiguité du terme « absorbtion » (mot anglais dans le texte d’origine, Bureau D’assimilation): on ne va pas intégrer les minorités mais les absorber, les diluer.

    Alvin accuse Bengelsdorf d’avoir « cashérisé Lindbergh » [Rp152]. Il a rendu Lindbergh judéo-compatible.

    Dans la bibliothèque des Roth, on trouve un dictionnaire offert à Sandy par tante Evelyn. C’est le symbole du pouvoir de manipulation du langage. Les mots peuvent être utilisés à mauvais escient.

    Winchell dénonce « La machine à mentir dictatoriale » de Lindbergh [Rp348].

  3. La rumeur et le complot

    Multiplication des rumeurs et des hypothèses complotistes:

    Relève du fantasme, pas du logos

2  Mystification et divertissement

Remarque: Divertir peut vouloir dire: amuser, et détourner

Ches Aristophane.

 [ACp98] Le charcutier amuse (anchois) pour détourner: le conseil n’est plus intéressé par la paix et l’intérêt général, il est intéressé par les anchois.

Chez Tocqueville

 [Tp153] « il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. » Restriction de l’attention sur des choses futiles, légères, mais pas sur l’essentiel: la politique, l’intérêt général, etc

Chez Roth.

 [Rp31] « Nous ne nous serions sans doute pas réveillés avant le matin sans l’entrée impromptue de Lindbergh sur les planches » analogie avec le théâtre, la mise en scène. [Rp51] « Les démocrates traitèrent ce vol d’amusette publicitaire ». Diversion de Lindbergh: [Rp54], explosion de l’avion de lindbergh: instrumentée pour détourner l’attention ? [Rp372] Winchell lance sa campagne « au carrefour de Broadway » (quartier des théâtres et des comédies musicales: c’est un commedien qui entre en scène), ne veut pas être écarté des « feux de la rampe » [Rp375]

B  Une nouvelle forme de servitude

1  Une tyrannie douce

Les œuvres décrivent la manière dont la démocratie peut engendrer une forme de paternalisme qui prétend assurer le bien-être des citoyens et pourvoir à tous leurs besoins. Les citoyens sont infantilisés et de plus en plus dépendants du pouvoir. Cette nouvelle forme de tyrannie ne repose donc pas sur la contrainte et la force mais s’avance sous le masque de la bienveillance.

Chez Aristophane.

À faire: recopier ça


1
détournement
2
Échange de répliques très brèves et très courtes

Annexe C  Langage et fiction en démocratie

Annexe A  Textes supplémentaires

Introduction générale

Texte 1   Marcel Gauchet, «Crise dans la démocratie», La Revue Lacanienne, 2008, p59-72

Pour le dire d’une manière plus complète : la démocratie rassemble deux choses comme le signale l’expression de démocratie liberale. La première, la composante libérale : les libertés privés des personnes, leurs droits et leurs garanties et la seconde, la composante proprement démocratique : la transformation de ces libertés en puissance collective, en autogouvernement. L’étrange phénomène dont nous sommes témoins est que la signification même du mot de démocratie a changé. Dans l’acception de tous les jours, dès qu’on prête attention au phénomène, on a d’innombrables témoignages où le mot démocratie ne désigne plus que la garantie des libertés privées. Nous avons oublié le second volet dans le couple : la puissance publique.

Texte 2   Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1835, T. I, Ch. 4

La société y agit par elle-même et sur elle-même. Il n’existe de puissance que dans son sein; on ne rencontre même presque personne qui ose concevoir et surtout exprimer l’idée d’en chercher ailleurs. Le peuple participe à la composition des lois par le choix des législateurs, à leur application par l’élection des agents du pouvoir exécutif; on peut dire qu’il gouverne lui même, tant la part laissée à l’administration est faible et restreinte, tant celle-ci se ressent de son origine populaire et obéit à la puissance dont elle émane. Le peuple sur le monde politique américain comme Dieu sur l’univers. Il est la cause et la fin de toutes choses; tout en sort et tout s’y absorbe.

Texte 3   Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1972

Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivants : chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.

A l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique […]. A l’égard des associés ils prennent collectivement le nom de Peuple […]

Texte 4   Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1835, Introduction

Le livre entier qu’on va lire a été écrit sous l’impression d’une sorte de terreur religieuse produite dans l’âme de l’auteur par la vue de cette révolution irrésistible qui marche depuis tant de siècles à travers tous les obstacles, et qu’on voit encore aujourd’hui s’avancer au milieu des ruines qu’elle a faites.

Texte 5   Discours de Sieyès

D’abord, la très-grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; leur avis est donc de se nommer des représentants ; et puisque c’est l’avis du grand nombre, les hommes éclairés doivent s’y soumettre comme les autres. Quand une société est formée, on sait que l’avis de la pluralité fait loi pour tous.

Ce raisonnement, qui est bon pour les plus petites municipalités, devient irrésistible quand on songe qu’il s’agit ici des lois qui doivent gouverner 26 millions d’hommes ; car je soutiens toujours que la France n’est point, ne peut pas être une démocratie ; elle ne doit pas devenir un Etat fédéral, composé d’une multitude de républiques, unies par un lien politique quelconque. La France est et doit être un seul tout, soumis dans toutes ses parties à une législation et à une administration communes. Puisqu’il est évident que 5 à 6 millions de citoyens actifs, répartis sur vingt-cinq mille lieues carrées, ne peuvent point s’assembler, il est certain qu’ils ne peuvent aspirer qu’à une législature par représentation. Donc les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes immédiatement la loi : donc ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. Toute influence, tout pouvoir leur appartiennent sur la personne de leurs mandataires ; mais c’est tout. S’ils dictaient des volontés, ce ne serait plus cet état représentatif ; ce serait un état démocratique.

Texte 6   Rousseau, Le Contrat Social, Livre III, Chapitre 15

À l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre, il n’est plus. [...]

La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point. [...] Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement.

Texte 7   Discours de Périclès, Histoire de la Guerre du Péloponnèse, Vème avt. J.-C

Notre constitution politique n’est pas jalouse des lois de nos voisins, et nous servons plutôt à quelques-uns de modèles que nous n’imitons les autres. Comme notre gouvernement n’est pas dans les mains d’un petit nombre de citoyens, mais dans celles du grand nombre, il a reçu le nom de démocratie. Dans les différends qui s’élèvent entre particuliers, tous, suivant les lois, jouissent de l’égalité : la considération s’accorde à celui qui se distingue par quelque mérite, et si l’on obtient de la république des honneurs, c’est par des vertus, et non parce qu’on est d’une certaine classe. Peut-on rendre quelque service à l’état, on ne se voit pas repoussé parce qu’on est obscur et pauvre. Tous, nous disons librement notre avis sur les intérêts publics ; mais dans le commerce journalier de la vie, nous ne portons pas un œil soupçonneux sur les actions des autres ; nous ne leur faisons pas un crime de leurs jouissances ; nous ne leur montrons pas un front sévère, qui afflige du moins, s’il ne blesse pas. Mais, sans avoir rien d’austère dans le commerce particulier, une crainte salutaire nous empêche de prévariquer dans ce qui regarde la patrie, toujours écoutant les magistrats et les lois, surtout celles qui ont été portées en faveur des opprimés, et toutes celles même qui, sans être écrites, sont le résultat d’une convention générale et ne peuvent être enfreintes sans honte.

Texte 8   Platon, La République

Eh bien ! à mon avis, la démocratie apparaît lorsque les pauvres, ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres, et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques; et le plus souvent ces charges sont tirées au sort. [...] Aussi bien est-il évident que l’individu qui lui ressemble nous découvrira les traits de l’homme démocratique. En premier lieu, n’est-il pas vrai qu’ils sont libres, que la cité déborde de liberté et de franc-parler, et qu’on y a licence de faire ce qu’on veut? Or il est clair que partout où règne cette licence chacun organise sa vie de la façon qui lui plaît. On trouvera donc, j’imagine, des hommes de toute sorte dans ce gouvernement plus que dans aucun autre. [...] Tels sont, les avantages de la démocratie, avec d’autres semblables. C’estun gouvernement agréable, anarchique et bigarré, qui dispense une sorte d’égalité aussi bien à ce qui est inégal qu’à ce qui est égal. [...]

Mais n’est-ce pas le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien suprême qui perd cette dernière? C’est-à-dire la liberté ? En effet, dans une cité démocratique tu entendras dire que c’est le plus beau de tous les biens, ce pourquoi un homme né libre ne saurait habiter ailleurs que dans cette cité. [...] Lorsqu’une cité démocratique, altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s’enivre de ce vin pur au delà de toute décence; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d’être des criminels et des oligarques. Et ceux qui obéissent aux magistrats, elle les bafoue et les traite d’hommes serviles et sans caractère. [...] N’est-il pas inévitable que dans une pareille cité l’esprit de liberté s’étende à tout? Qu’il pénètre, mon cher, dans l’intérieur des familles, et qu’à la fin l’anarchie gagne jusqu’aux animaux? Que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque et l’étranger pareillement. [...] Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés? Conçois-tu bien qu’ils rendent l’âme des citoyens tellement ombrageuse qu’à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s’indignent et se révoltent? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites ou non écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître. Eh bien ! C’est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie. [...] Ainsi, l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l’individu et dans l’État.

Texte 9   Benjamin Contant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, 1819

Ainsi chez les anciens, l’individu, souverain presque habituellement dans les affaires publiques, est esclave dans tous les rapports privés. Comme citoyen, il décide de la paix et de la guerre; comme particulier, il est circonscrit, observé, réprimé dans tous ses mouvements; comme portion du corps collectif, il interroge, destitue, condamne, dépouille, exile, frappe de mort ses magistrats ou ses supérieurs; comme soumis au corps collectif, il peut à son tour être privé de son état, dépouillé de ses dignités, banni, mis à mort, par la volonté discrétionnaire de l’ensemble dont il fait partie. Chez les modernes, au contraire, l’individu, indépendant dans sa vie privée, n’est même dans les états les plus libres, souverain qu’en apparence. Sa souveraineté est restreinte, presque toujours suspendue; et si, à des époques fixes, mais rares, durant les quelles il est encore entouré de précautions et d’entraves, il exerce cette souveraineté, ce n’est jamais que pour l’abdiquer. [...]

Il s’ensuit que nous devons être bien plus attachés que les anciens à notre indépendance individuelle; car les anciens, lorsqu’ils sacrifiaient cette indépendance aux droits politiques, sacrifiaient moins pour obtenir plus; tandis qu’en faisant le même sacrifice, nous donnerions plus pour obtenir moins. Le but des anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie: c’était là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances.

Texte 10   Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Tomme II, Partie 3

Aux États-Unis, la majorité se charge de fournir aux individus une foule d’opinions toutes faites, et les soulage ainsi de l’obligation de s’en former qui leur soient propres. Il y a un grand nombre de théories en matière de philosophie, de morale ou de politique que chacun y adopte ainsi sans examen sur la foi du public ; et si l’on regarde de très-près on verra que la religion elle-même y règne bien moins comme doctrine révélée que comme opinion commune. [...]

Toutes les fois que les conditions sont égales, l’opinion générale pèse d’un poids immense sur l’esprit de chaque individu ; elle l’enveloppe, le dirige et l’opprime : cela tient à la constitution même de la société bien plus qu’à ses lois politiques. À mesure que tous les hommes se ressemblent davantage, chacun se sent de plus en plus faible en face de tous. Ne découvrant rien qui l’élève fort au-dessus d’eux et qui l’en distingue, il se défie de lui-même, dès qu’ils le combattent ; non seulement il doute de ses forces, mais il en vient à douter de son droit, et il est bien près de reconnaître qu’il a tort, quand le plus grand nombre l’affirme. La majorité n’a pas besoin de le contraindre ; elle le convainc.

Texte 11   John Stuart Mill, De la liberté, 1859

Se protéger contre la tyrannie du magistrat ne suffit donc pas. Il faut aussi se protéger contre la tyrannie de l’opinion et du sentiment dominant, contre la tendance de la société à imposer, par d’autres moyens que les sanctions pénales, ses propres idées et ses propres pratiques comme règles de conduite à ceux qui ne seraient pas du même avis. Il faut encore se protéger contre sa tendance à entraver le développement, voire à empêcher la formation de toute individualité qui ne serait pas en harmonie avec ses us et coutumes et à forcer tous les caractères à se façonner sur un modèle préétabli.

Texte 12   Platon, La République

Ces femmes de nos gardiens seront communes toutes à tous ; aucune n’habitera en particulier avec aucun d’eux ; les enfants aussi seront communs, et le père ne connaîtra pas son fils, ni le fils son père (…) Quant aux enfants, à mesure qu’ils naîtront, ils seront remis à un comité constitué pour eux, qui sera composé d’hommes ou de femmes ou des deux sexes, puisque les fonctions publiques sont communes aux hommes et aux femmes. Ils conduiront les mères au bercail, quand leur sein sera gonflé, employant toute leur adresse à ce qu’aucune ne reconnaisse son enfant ; si les mères ne peuvent allaiter, ils amèneront d’autres femmes ayant du lait ; et même pour celles qui le peuvent, ils auront soin que l’allaitement ne dure que le temps voulu (…) Quand les femmes et les hommes auront passé l’âge de donner des enfants à la cité, nous laisserons, je pense aux hommes, la liberté de s’accoupler à qui ils voudront, hormis leur filles, leur mère (…) Nous donnerons la même liberté aux femmes

Introduction aux oeuvres

Texte 13   Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Introduction, 1835

[...] Je n’ai même pas prétendu juger si la révolution sociale, dont la marche me semble irrésistible, était avantageuse ou funeste à l’humanité ; j’ai admis cette révolution comme un fait accompli ou prêt à s’accomplir, et, parmi les peuples qui l’ont vue s’opérer dans leur sein, j’ai cherché celui chez lequel elle a atteint le développement le plus complet et le plus paisible, afin d’en discerner clairement les conséquences naturelles, et d’apercevoir, s’il se peut, les moyens de la rendre profitable aux hommes. J’avoue que dans l’Amérique j’ai vu plus que l’Amérique ; j’y ai cherché une image de la démocratie elle-même, de ses penchants, de son caractère, de ses préjugés, de ses passions ; j’ai voulu la connaître, ne fût-ce que pour savoir du moins ce que nous devions espérer ou craindre d’elle.

Chapitre 1: Prestiges et promesses de la démocratie

Texte 14   Hannah Arendt, Qu’est ce que la politique ?, 1995, L’espace de la politique: l’espace public

Ce qui est décisif pour cette liberté politique, c’est qu’elle est liée à un espace. Celui qui abandonne sa polis, ou qui en est banni, perd non seulement sa patrie ou la terre de ses ancêtres, mais il perd aussi le seul espace où il pouvait être libre ; il perd la société de ses pairs. Mais cet espace de libertén’était pas tant nécessaire et indispensable à la vie et au souci de l’existence qu’il constituait bien plutôt un obstacle pour eux. Les Grecs savaient, pour en avoir personnellement fait l’expérience, qu’un tyran doté de raison (ce que nous nommons un despote éclairé) présentait de grands avantages en ce qui concerne la simple prospérité de l’État et l’épanouissement des arts, aussi bien matériels qu’intellectuels. Seule la liberté avait disparu. Les citoyens étaient renvoyés dans leurs foyers, et l’espace où pouvait avoir lieu une libre rencontre entre égaux, l’agora, était déserté. La liberté n’avait plus de place, ce qui signifie qu’il n’y avait plus de liberté politique.

Texte 15   Hannah Arendt, Qu’est ce que la politique ?, 1995, L’action politique: la parole

Simultanément, l’activité la plus importante pour l’être-libre se déplaça de l’agir à la parole, de l’action libre à la parole libre. Ce déplacement est très important et, plus encore que dans l’histoire de la Grèce elle-même, il s’accomplit dans la tradition de notre concept de liberté où prévaut l’idée que l’agir et la parole sont originellement séparés l’un de l’autre, qu’ils correspondent dans une certaine mesure à deux facultés tout àfait séparées de l’homme. Car l’une des choses les plus merveilleuses et les plus surprenantes de la pensée grecque consiste précisément en ce qu’une telle séparation de principe entre la parole et l’action n’a jamais existé chez elle, et ce dès le début, c’est-à-dire dès Homère : celui qui accomplit de grandes actions doit simultanément être aussi quelqu’un qui profère de grandes paroles, et ce non pas seulement parce que les grandes paroles doivent accompagner de manière pareillement éclairante les grandes actions, qui sinon retomberaient muettes dans l’oubli, mais parce que la parole elle-même était conçue a priori comme une sorte d’action.

Texte 16   Hannah Arendt, Qu’est ce que la politique ?, 1995, L’action politique: la multiplication des points de vue

[La liberté de discuter] n’est possible d’une manière générale que dans la relation avec les autres. (...) Ce qui était décisif autrefois comme aujourd’hui, ce n’était nullement le fait que chaque homme pût dire ce qui lui plaisait ou que chaque homme possédât le droit propre de s’exprimer comme il le fait aujourd’hui. Il s’agissait bien plutôt de l’expérience en vertu de laquelle personne ne peut saisir par lui-même et sans ses semblables de façon adéquate et dans toute sa réalité ce qui est objectivement, parce que cela ne se montre et ne se manifeste à lui que selon une perspective qui est relative à la position qu’il occupe dans le monde et qui lui est inhérente. S’il veut voir le monde, l’expérimenter tel qu’il est « réellement », il ne le peut que s’il le comprend comme quelque chose qui est commun à plusieurs, qui se tient entre eux, qui les sépare et les lie, qui se montre différemment à chacun et qui ne peut être compris que dans la mesure où plusieurs en parlent et échangent mutuellement leurs opinions et leurs perspectives. Ce n’est que dans la liberté de la discussion que le monde apparaît en général comme ce dont on parle, dans son objectivité, visible de toutes parts. Vivre-dans-un-monde-réel et discuter-de-lui-avec-d’autres, c’est au fond une seule et même chose, et si la vie privée paraissait « idiotique » aux Grecs, c’est précisément parce que cette multiplicité de la discussion à propos de quelque chose lui était refusée, et du même coup l’expérience de ce dont il s’agissait en vérité dans le monde.

Annexe B  Tocqueville: Paradoxes de la démocratie

A  Égalité

B  Indépendance et liberté

Annexe C  Démocratie et Savoir – Tableau Synoptique

À faire: recopier ça

Annexe D  Dissertation corrigée, Alfred de Sauvy

À faire: ça